Rendez-vous porte rouge

                                                                                

                                                                                          NOUVELLE ...

 

Une partie de moi se souvient de l’extraordinaire aventure :

 « Rendez-vous porte rouge. Un seul doit survivre ! »Telle était la consigne.

Un seul, je devais être celui-là ! Nous étions plus de dix mille, plus de dix mille armés de notre fouet pour atteindre le premier… la porte ! Nous attendions depuis si longtemps, tapis dans l’interminable tunnel, ce lieu prodigieusement humide et sombre où je désespérais de voir un jour la lumière.  Soudain, à la mesure d’un cataclysme, notre masse compacte, foule innombrable dont je n’étais qu’un frêle élément se trouva brutalement emportée et projetée au travers de l’immense tunnel vers un puits gigantesque. Celui-ci s’ouvrit ainsi qu’une astronomique fleur éclot et engloutit notre formidable marée. Vertigineux tourbillon dans lequel nous étions  aspirés vers la plus grande aventure, celle de notre destinée. Autour de nous les parois ruisselaient. Une intense odeur musquée imprégnait cet autre tunnel où nous étions parvenus. Odeur puissante et chaude qui nous étreignait à nous tremper de sueur. Nous étions plus de dix mille,  plus de dix mille armés de notre fouet. Un seul devait  atteindre  la porte, la porte rouge ! Affolés mais en vie la course commençait. Tous les coups étaient permis, tous. A l’aide mon fouet je zébrais et cisaillais les chairs, découpais en lanières ceux qui me devançaient, me poursuivaient, ceux qui s’arrêtaient en chemin pour reprendre leur souffle l’espace, tiens ! Et encore ça ! Coup de boule, morsures, poings, tout était bon pour parvenir… à la porte ! J’avais soif, j’avais faim, courant comme un fou, je recevais moi-même des coups, le fouet des autres me saignaient, ah les chiens ! j’étais sanguinolent, demi-mort,  lambeau grisâtre fonçant tête baissé vers … ma destinée ! Nous n’étions plus que cent, en sang, déchiquetés, agonisants, pleurants de savoir qu’il s’agissait de l’ultime course. J’écrasais les plus faibles, tordais le coup aux plus mous, courir, courir, m’arrachais aux griffes de ceux qui voulaient me déchirer, courir, courir, nos fouets tournoyaient encore, les victimes jonchaient notre parcours.  Courir, courir. Il ne restait que trente individus dont moi et je voulais être le seul ! Tuer, courir devenait mon but, ma soif, ma faim. J’étais déchaîné, ivre mort mais déchaîné. Je claquais entre eux les derniers, coupais de mon fouet les soubresauts de leur vitalité. Enfin, enfin la porte, vitrail éblouissant, la porte, soleil rougeoyant que je devais passer. La porte ! Subsistaient deux guerriers dans la course ; L’un d’eux avait perdu son fouet, je l’étouffais. Le second, aussi fort que moi m’examinait et tournait autour de moi. Danse funeste de la bête voulant saisir sa proie. Nous n’étions que deux masse sanguinolentes et tremblantes de sueur, tendues comme la corde d’un arc.  D’un seul bond je me jetais sur lui et lui arrachais son fouet, cri de déchirure, d’extrême souffrance et hurlement de triomphe. …..J’étais le dernier, seul devant la porte. Mais… Comment entrer. Où était l’ouverture ?

La porte était lisse, totalement lisse. Je ne trouvais pas. Pas la moindre aspérité pour tirer ou pousser. Allais-je demeurer là, agonisant, après avoir atteint le but, c’est à dire : la finalité de l’incroyable course ? Seul mais mourant pour l’éternité ?

De rage je fonçais contre la porte qui se refusait, cognais contre elle, cognais. Toute mon énergie était concentrée sur cette rage, cogner et encore cogner pour traverser. D’un dernier élan je concentrais mes ultimes forces, compressais dans mon sang la moindre goutte de tension et … passait  à l’intérieur !...

Oh la beauté de l’endroit, doux, chaud, douillet, oh….ce regard rougeoyant d’amour, ce regard éblouissant, au fond du sanctuaire… de l’ovule ! Je n’étais qu’un mince spermatozoïde en quête d’exister. Nous allions devenir MOI.

 

François Drolet fransky@hotmail.com

 
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