Une histoire de Noël ordinaire

 

 

Un soir, alors que je n’avais pas sommeil, car je m’étais levé très tard dans la journée, j’étais resté seul dans la salle à manger. Enfin presque seul. Car sur le tapis, le museau dans ses pattes ma chienne « Salie » ronflait tranquillement et, dans une posture adorable comme à l'accoutumée, ma chatte « Pomme » dormait comme seuls savent dormir les chats.

Le calme régnait dans la maison.

Mes enfants étaient partis sagement se coucher depuis plusieurs heures déjà, et leur maman que nous aimions tous tendrement, les avait rejoints dans le sommeil peu de temps après, le programme de télévision n’ayant ce soir-là, chose qui devenait déjà à l’époque, de plus en plus fréquente, mais là n’est pas notre propos, rien d’attrayant.

J’étais donc assis devant la table de la salle à manger sur laquelle j’avais étalé divers papiers et plants de la maison que nous faisions construire à cette époque-là, et à l’aide desquels je faisais des projets pour différents aménagements que je comptais réaliser dans notre future demeure. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que quelque chose d’étrange se produisait.

Tout d'abord, je ne sus pas définir ce qui m’intriguait. Avais-je ressenti une odeur étrange, ou vu quelque chose de particulier ?

Non, pas que je sache. Toutefois, une impression de malaise subsistait. Que se passait-il, ou qu’allait-il se passer ?

Et puis d'un coup, j’ai compris…

J’ai compris tout bêtement, en regardant l’heure. Ho elle n’avait rien d’extraordinaire cette heure ! Si ce n’est qu’en principe alors que les aiguilles se trouvent dans cette position et qu’il fait nuit, je suis couché depuis longtemps.

Non. Elles n’avaient vraiment rien d’extraordinaire. Mais par contre ce qui l’était, c’est que, bien que le calme règne toujours dans la maison il était encore plus intense. Presque palpable. Matériel. Ce qui éveilla mon trouble c’est que bien que la trotteuse fonctionne et égrène les secondes à son rythme habituel, aucun bruit n’était produit par son mouvement. Plus de tic-tac.

Rien !

J’écoutai, plus attentivement… rien. Pas un bruit. Alors d’un coup je pris peur. Étais-je devenu sourd ?

En effet, je réalisais maintenant que je n’entendais plus « Salie » ronfler. Qu’aucun bruit de moteur ne me parvenait plus de la rue, pourtant si passagère. Et que même notre vieux réfrigérateur qui d’ordinaire fonctionnait bruyamment et fréquemment, même lui, oui, même lui ne produisait plus aucun bruit !

J’allais quitter ma chaise pour aller réveiller Josette ma tendre épouse afin de l’avertir de ce qui se passait ; j’étais sur le point de me lever ayant fait reculer ma chaise sans qu’aucun bruit n’ait été produit par ce mouvement, bien sûr… et c’est à ce moment-là que ça a commencé !

« Et, toi ! »

Je dressais l’oreille incrédule. J’avais cru entendre comme une petite clochette aigrelette tinter une voix minuscule qui m’interpellait.

« Alors, tu dors ! »

Cette fois-ci, pas d’erreur. Une voix minuscule s’adressait à moi. Je fis brusquement demi-tour. Rien, nulle part. Et d'ailleurs, qui aurait pu.

Ce n’était que le fruit de mon imagination.

Oubliant jusqu’à l’impression que je venais d’avoir à l’instant, de ma surdité potentielle je mis tout cela sur le compte de l’heure tardive et de mon besoin de sommeil et décidais qu’il était plus que temps d’aller me coucher.

Je me levais donc de ma chaise.

« Ah non, tu ne vas pas me laisser comme ça ! »

Reprit la petite voix, mi implorante, mi coléreuse.

Alors là, mon sang ne fit qu’un tour. Cette fois-ci je n’avais pas rêvé. Une petite voix provenant de je ne savais où, quelque part dans la pièce s’était à nouveau adressée à moi.

J’explorais donc minutieusement chaque recoin de la salle de séjour. Soulevant les objets, déplaçant une pile de livres, puis réalisant la stupidité de ma situation je m’exclamais

« Mon pauvre Alain, tu es complètement fou ! Te voilà à trois heures du matin en train de chercher. Quoi donc ? Une petite voix qui viendrait du buffet ou d’un repli du canapé… va donc te coucher ! ».

J’étais sur le point d’abandonner mes recherches, me dirigeant vers l’escalier comme à regret, et, alors que je me retournais une dernière fois, traitez-moi de fou. Je l’ai vu !…

Oui, je l’ai vu. Comme je vous vois, accroché à la clef d’une des portes vitrées du buffet. Un de ces petits bonshommes de matière plastique que l’on trouve dans les surprises et que l’on monte soi-même.

Je fermais les yeux. Les frottait vigoureusement espérant que ce geste allait effacer cette irréelle vision, mais lorsque je les rouvris et bien il était toujours là. Pas d’erreur possible.

Moi. Un adulte de plus de trente ans. Marié. Père de deux enfants. Sobre comme un cactus, j’avais des visions dignes d’un conte de Fées. Un petit bonhomme « vivant », haut comme une boîte d’allumettes de poche était là, suspendu à la clef d’une des serrures du buffet de ma salle à manger ! Alors, le petit me rappela à la réalité, si je puis dire.

« S'il te plaît, aide-moi à tourner la clef, puisque tu es là et que tu m’as vu », me dit-il.

« Mais pour quelle raison désires-tu ouvrir cette porte ? »

« Je suis bien obligé », répondit-il d’un ton que je trouvais un peu sec.

« Puisque tu as cru malin de renfermer tous mes amis, nos voitures et nos avions dans cette espèce de montagne de bois que tu nommes buffet ! Moi, par hasard je suis tombé derrière un pied du meuble et il y a quatre nuits que j’escalade centimètre par centimètre. Et encore une chance que ton buffet ne soit pas lisse, car sinon je n’avais plus qu’à monter à l’étage pour chercher l’hélicoptère. Tu sais combien de temps il me faut pour monter jusqu’à la chambre des enfants? Un mois. Tout un mois ! Te rends-tu compte ? »

Je restais là. Abasourdi. Même plus étonné de converser avec ce petit jouet de plastique. Et alors que je pensais à cela, je réalisais l’absurde de la situation et lui dis :

« Mais enfin, tu n’es qu’un jouet. Un petit sujet de matière plastique. C’est moi-même qui t’ai acheté et qui t’ai rapporté à la maison il y a deux ou trois semaines dans cette espèce de surprise en forme d’œuf de chocolat ! C’est moi qui ai monté tes bras, tes jambes et assemblé ta tête avec ton corps. Enfin, je m’en souviens très bien ! »

« Oui, c’est vrai » admit-il « parfois pour faire de longue distance qui nous demanderait des mois, voire des années, nous nous faisons transporter par les hommes ».

« Mais enfin, cette surprise, c’est au hasard, dans une boîte où il y en avait une trentaine, que je l’ai prise »

« Au hasard dis-tu ? Ça, c’est ce que tu crois. En réalité c’est moi qui ai guidé ta main. N’oublie pas qu’il n’y a pas si longtemps tu étais encore un petit enfant pour qui les jouets, comme vous dites, avaient encore beaucoup d’importance.

Dans votre tout jeune âge, vous nous voyez vivants et cela ne vous pose pas de problème. Ensuite vous devenez adultes et vous perdez le rêve, mais durant toute votre vie nous gardons une influence potentielle sur vous suivant votre dureté ou votre gentillesse ».

« Attends ! Tu n’es pas en train de me dire que vous êtes vivants ! Réellement vivants. Que vous avez une existence. Des amis… »

« Et si pourtant. Ou presque. À peu de choses près, tout ce que tu viens de dire est exact. Seulement, il n’y a que les tout petits enfants qui s’en rendent vraiment compte et quand ils commencent à parler vous prenez pour des enfantillages le babillage qu’ils nous adressent et le fait qu’ils veuillent nous garder auprès d’eux à tout moment. Alors, vous dites entre adultes avec des sourires entendus »

« Cet ours est un vrai confident pour lui. Vous ne croyez pas si bien dire ! Ou bien encore nous lui avons acheté des jouets modernes, avec des piles électriques et que croyez-vous qu’il préfère ? Ce vieux poupon de tissus à qui il manque un bras et qu’il traîne partout avec lui ! Hé oui ! Entre vous, les grandes personnes, vous appelez cela l’amour.

Y croyez-vous donc si peu vous-même pour ne pas pouvoir vous imaginer qu’il puisse exister dans le cœur d’un enfant pour son ours ou pour sa poupée ? Et lorsqu’il vous arrive à vous d’aimer vraiment, vous sépareriez-vous de l’être aimé après qu’il ait perdu un bras et au moment où au contraire votre réconfort lui serait vital ? Non ! Alors pourquoi les enfants, qui sont bien plus prés de l’amour que vous, car ils sont plus purs, n’auraient-ils pas cette tendresse immense pour les êtres qui font leur monde ? »

Tout ce que me disait ce petit bonhomme m’entrait droit dans le cœur comme seules y entrent les réalités pures et je suis sûr.

Oui, j’en suis sûr. Même si je vis cent ans et plus encore, je me souviendrai à jamais de chaque mot qu’il à prononcé. J’aurais voulu lui dire combien tout ce qu’il me disait me touchait et me semblait juste, beau. Combien toutes ses paroles emplissaient mon cœur de bonheur et de joie et tout ce que je trouvais à lui dire, fut :

« Raconte, raconte encore. Je veux tout savoir. »

« Ouvre d’abord la porte » me dit-il, « après on verra ! »

« Ha j’oubliais ! Excuse-moi ».

Je le fis monter sur ma main gauche et de la droite j’ouvris la porte. Aussitôt ce fut un concert de reproches à l’intérieur.

« Tu te rends compte. Il va aller tout dire à tout le monde. On ne va plus être tranquille un seul instant. Il y aura des gens partout à nous épier. Jour et nuit pour essayer de vérifier si par hasard ce qu’il va raconter aussi bizarre que cela paraisse, ce ne serait pas un peu vrai… par hasard ou par chance ! »

Le bonhomme les apaisa d’un geste.

« Écoutez, écoutez ! »

Peu à peu le silence revint.

« D'abord, je n’avais pas le choix, car tout seul je n’aurai jamais réussi à ouvrir cette porte. D’autre part, combien de fois certains d’entre vous se sont-ils fait surprendre ? Et à chaque fois comment cela s’est-il terminé ? Au pire par un conte ou une histoire pour les enfants.

Vous savez bien que les adultes pour la plupart sont malheureusement incapables de croire à ce qu’ils appellent de tels enfantillages. Et que seuls ceux qui ont conservé la tendresse et la poésie de leurs premières années peuvent, même lorsque ce n’est qu’accidentel, nous voir sous notre véritable aspect. Même parmi ceux-là, quelques instants après qu’ils nous aient vus, combien pensent avoir rêvé ? »

L’approbation fut unanime.

« Hum, hum ! » fis-je pour attirer leur attention. 

« Puisque je sais maintenant, racontez-moi votre histoire s’il vous plaît, expliquez-moi… ».

« Bon », répondit mon nouvel ami.

« Je vais essayer. Assieds-toi, car cela sera sans doute assez long ».

Je posais donc délicatement tout ce petit monde sur la table basse du salon après qu’ils m’eurent assuré qu’ils n’auraient aucun mal à en descendre seuls, et m’installais confortablement sur le canapé.

J’ouvris alors grand mes oreilles pour ne pas perdre une miette de son récit.

Et il me dit ceci : 

« C’était il y a bien longtemps, et cela bien avant que ne viennent les hommes sur la terre. Nous étions là, nous, les jouets ! Ho bien sûr ce n’était ni mes amis ici présents, ni moi. Mais d’autres biens plus anciens. Ils étaient faits de bois, de paille ou de terre cuite.

Ou bien encore tout simplement de pierre. Qui nous avait mis là ? Mystère... Nous n’en savions pas plus que vous maintenant sur les mêmes questions vous concernant. Et aujourd’hui nul parmi nous ne saurait répondre à cette énigme…

Ce que je peux te dire c’est qu’à cette époque-là, qui dura si longtemps qu’aucun de nous ne saurait en compter les années et les siècles ; que nous soyons de glaise ou de paille tressée, nous avions une vie.

Oui, oui ! Une vraie vie !

Le jour, la nuit nous pouvions nous promener tranquillement. Aller où bon nous semblait. Nous réunir. Discuter. Toutes les fleurs les plus belles, toutes les musiques du monde étaient pour nous. Les parfums. Les couleurs… tout.

L’existence était la poésie à l’état pur. Nulle chose n’était impossible.

Il suffisait de la penser et si elle était belle, seulement si elle était belle, elle se réalisait.

C’est ainsi qu’au gré d’un ourson de chiffon on vit passer un jour au ciel un vol fait de mille poissons de couleur comme un gigantesque bouquet aérien.

Ou bien encore lorsque lançant au ciel d’azur des vagues de turquoises, de rubis, de topazes, en acrobate en bois inventa l’arc-en-ciel.

Et ce poupon d’ébène, jetant de son pays des millions de diamants dans le bleu de la nuit, qui parsema d’étoiles l’univers infini.

Et puis tant et tant d’autres encore qui créèrent les belles choses qui nous entourent… Tout n’était qu’harmonie. Grâce, calme et splendeur. Tous nous étions à l’apogée du bonheur et cela aurait pu durer pour des siècles encore quand survint la catastrophe ! Une énorme catastrophe. Un incommensurable cataclysme. Une abomination ! Un bruit horrible que nul encore n’avait encore jamais entendu.

Un bruit qui nous glaça de terreur à l’endroit même où nous nous trouvions. Nous fûmes tous pétrifiés.

À jamais, pensions-nous. Et bien ce gigantesque bruit, cette catastrophe, ce cataclysme c’était vous !

C’était le pas de l’homme ce bruit abominable ! et il allait, tant la frayeur qu’il nous avait inspirée était grande, nous clouer sur place pour les siècles à venir, dans une rigidité implacable.

Heureusement, cet homme qui nous faisait si peur devait régulièrement s’allonger pour dormir et à ce moment-là il devenait pour nous parfaitement inoffensif. Il se cacha au début dans des grottes, puis construisit des cases et enfin des maisons pour s’y abriter de la pluie ou du froid.

Et alors se produisit le miracle !

Dès qu’il dormait, nous reprenions vie !

Dès qu’il dormait profondément nous étions à nouveau libres d’aller et venir à notre guise. Nous pouvions vivre à nouveau !

Nous pouvions à nouveau discuter avec nos amis. Nous promener. Sentir les fleurs, celles qui ne se fermaient pas la nuit. Admirer les étoiles, œuvre de notre lointain ancêtre. Enfin, ce n’était pas si mal…

Bien sûr plus question de faire des choses aussi merveilleuses et grandioses que les vols de poissons ou les arcs-en-ciel de jacinthes comme au temps où nous étions seuls.

Cela aurait révélé notre existence aux hommes et le conseil des sages avait décidé une fois pour toutes que cela était hors de question, le risque étant trop grand ! Les hommes étaient curieux de tout.

Ils auraient donc été curieux de tout savoir de nous, même si cette connaissance devait passer par notre démantèlement, notre dissection, notre vivisection…

Horreur ! Ils n’auraient eu de cesse de nous avoir auscultés sous toutes les coutures, observés pour tenter, en vain d’ailleurs, de comprendre.

Et nous tenions trop à notre tranquillité de la nuit.

Dans la journée par contre les hommes faisaient beaucoup de dégâts sur la terre. Certes parmi eux certains, comme nous jadis, inventaient des choses assez belles.

Mais régulièrement les combats des autres détruisaient ce qu’ils avaient eu tant de peine à créer.

Par chance l’homme qui avait bien des défauts. L’homme qui était notre tourment. Et bien cet homme n’était pas venu seul…

Il avait amené l’enfant !

Bien vite nous avons compris que l’enfant était de notre monde.

Bien sûr il n’y restait pas longtemps. Mais les quelques années que nous partagions avec lui nous faisaient paraître le temps plus gai.

Et surtout, surtout nous étions à nouveau utiles à quelque chose !

Utile, oui. Car rien n’est plus utile, indispensable même que le rire des enfants. Cela les adultes l’ignorent, mais sans le rire des enfants, sans leurs éclats de rire il n’y aurait plus de cristal sur la terre. Et sans le cristal, qui fait en mile couleur éclater les rayons du soleil, plus rien ne serait beau. Tout serait terne et triste.

Le cœur des enfants est souvent gonflé de pleurs que vous ne voyez pas toujours, mais heureusement nous sommes là, nous les jouets, pour écouter leur peine et les en consoler.

Voilà, c’est à peu près tout ce que je puis te dire sur nous. Mais ton cœur est-il encore assez ouvert. As-tu gardé suffisamment de la beauté de ton enfance pour me comprendre ? »…

Je n’en croyais pas mes oreilles. J’avais les larmes aux yeux. Le cœur gonflé près d’éclater. Ce petit être avait entrebâillé devant moi les portes d’un monde irréel. Extraordinaire. Ce que l’adulte que j’étais avait tout d’abord tenté de réfuter à grand coup de logique et de certitudes absolues la première fois que je le vis, l’enfant qui était encore au fond de moi, bien que je le croie disparu depuis longtemps, cet enfant que j’étais encore malgré moi, y croyait lui, et y croyait de toute son âme.

De toutes ses forces !

N’importe quelle « grande personne », à moins qu’elle n’ait un cœur de pierre, sait la force que peut avoir un enfant.

« Mais alors », lui dis-je. 

« Le jour de Noël, avec son cortège de guirlandes, ses lumières de toutes couleurs, le père Noël et son traîneau avec son manteau rouge et sa barbe de neige et surtout sa hotte merveilleuse. Ce jour-là doit être pour vous une fête extraordinaire ? Des tas de jouets neufs trouvent de nouveaux amis qui les chérissent sur leur cœur et au creux de leur oreiller douillet ! »

« Détrompe-toi, mon ami, me dit-il d’un air soudain devenu grave, détrompe-toi…  Bien sûr à Noël il y a de nouveaux jouets. Nous avons même appris à l’homme à fabriquer des poupées qui parlent et qui marchent. Mais pour nous ce n’est pas un jour de fête, bien au contraire.

Ce jour-là, ou plutôt les lendemains de ces jours-là, des milliers de poupons jugés trop vieux ou de jouets un peu cassés, mais que l’on pourrait facilement réparer avec un peu d’amour, sont jetés aux ordures.

Abandonnés par ceux-là mêmes qui hier les serraient sur leur cœur pour leur faire partager leurs joies ou leur peine et vos dépôts d’ordures au lendemain de ces jours maudits sont pour nous autant de cimetières pareils à ceux de vos grandes guerres meurtrières ».

Là-dessus il se tut et dans le silence de la nuit seul le bruit de mon souffle parvenait à mes oreilles. Je ne savais plus si je devais rire ou pleurer. Battre des mains ou fondre en larmes.

Je pris le petit bonhomme dans ma main, le hissais jusqu’à mon visage et le serrant contre ma joue mouillée de larmes lui dit :

« Je vais te faire une promesse. Petit bonhomme au si grand cœur.

Je raconterai ton histoire, car il faut que les gens la sachent. Il faut surtout que tous les enfants sachent. Il faut qu’ils sachent qu’ils ne rêvent pas quand ils vous entendent leur répondre dans leurs jeux.

Quand ils vous parlent, il faut qu’ils sachent que vous les entendez aussi. Que vous les comprenez et que vous les aimez. Il faut qu’ils le sachent, car ainsi ils cesseront d’être parfois cruels avec vous.

Jamais plus ils ne vous laisseront seuls abandonnés dans le noir au fond d’un placard. Il faut absolument qu’ils sachent, car ainsi ils sauront qu’ils ne sont pas seuls dans leur monde de rêves où ils se réfugient pour échapper au notre trop souvent si cruel.

Plus tard, beaucoup plus tard, lorsqu’ils seront devenus grands.

Oh ! bien sûr ils ne joueront plus avec vous. Ils n’auront pas le temps…

Mais lorsque leur regard se posera sur vous, la tendresse au fond de leurs yeux vous rappellera leur enfance, et au fond de leur sommeil paisible d’adultes de temps à autre, allez les voir, car ils ont tant besoin d’amour, et il est si dur à trouver dans le monde où vivent les hommes. »

    

******************************

Mais ce n’est pas tout à fait tout.

Je lui fis aussi ce soir-là un serment.

Mais celui-ci c’est un secret.

Un secret entre lui et moi.

Lui petit bonhomme de plastique et mon grand enfant souvent perdu dans le monde méchant des hommes.

C’est un secret, néanmoins il vous sera possible avant le jour de l’an de savoir chaque année ce qui nous unit désormais lui et moi.

Si au lendemain de Noël, regardant à la fenêtre vous voyez un homme courbé en deux sur vos poubelles, malgré mon grand sac sur le dos vous pourrez bien me reconnaître.

*******************************

Car depuis ce soir-là, le soir où je l’ai vu

Je passe ramasser, au lendemain de fêtes

 Les ours et les poupées, que dédaigneux on jette

 Et avec de la colle, et des gestes d’amour

 Je répare avec soin, mes amis de toujours.

 Ainsi se termine sur le papier cette histoire.

 Libre à vous de penser que je l’ai rêvée…

 Ou de la croire.

 

Alain Springer© 1979

Retour au menu de mes textes