AUTREFOIS LA TERRE

 

Autrefois la Terre.

 

On raconte qu’avant il n’y avait rien…

Mais qui donc le sait ?... Puisqu’il n’y avait rien…

Nul ne le sait et nul ne cherche à le savoir. On le sait car on le dit et on le dit car on le sait et cela suffit à tout le monde.

Je devrais plutôt écrire « Cela suffisait à tout le monde ». Cette phrase étant écrit au passé impliquerait que les choses ont changé. Et en effet, oui, les choses ont bel et bien changé.

On dit qu’un diamant est immortel, mais qui peut en jurer ?

En outre, qui donc et sur quelles justifications scientifiques ou même philosophiques, peut en jurer ?...

Depuis que l’homme écrit l’histoire chantait Brassens… Hé bien parlons-en. Dans les plus anciens textes connus – sous réserve qu’ils aient été correctement traduit et non interprétés, comme ce fut trop souvent le cas pour des raisons religieuses ou politiques, voire les deux. Dans les plus anciens textes connus, où donc se trouve-t-elle cette « preuve » ?

Nulle part !

On parle de la nuit des temps, de l’aube de l’humanité, mais pour qu’il y ait eu « nuit », il a bien fallu qu’il y ait « jour » précédemment ! Tout comme le mal ne saurait exister sans l’aune du bien, la nuit ne saurait le jour et réciproquement.

Une chose est sûre, les choses ont bien changé. Il suffit d’avoir vécu quelques décennies pour le constater, non ?

On dit qu’après la pluie vient le beau temps et jamais le contraire, c’est amusant… 

Une chose est également sûre ; il n’est pas de situation confortable qui perdure.

Il y a forcément, un jour, une personne… Qui se croit plus futée que les autres ou qui est tout simplement plus curieuse. Et cette personne s’interroge. 

Si les choses en restaient là ce serait simple… Oui ! Mais ce serait trop beau… Il faut toujours que cette personne, qui croit avoir découvert les secrets des origines – pauvre bougre – s’empresse de claironner aux alentours qu’il a trouvé. Qu’il sait. Que lui seul sait… Et qu’il en est fier. Mais, s’il est si fier d’être – le seul l’unique, celui qui sait, l’éclairé, celui à qui parlent les Dieux aussi.

Pourquoi pas hein ?... – s’il en est si fier que ça, pourquoi galope-t-il en tous sens et en tous lieux pour claironner sa « science acquise », sa « connaissance » ?...

Qu’il garde ça pour lui. Nous attendrons le prochain « Messie » rien ne presse. Il y en a tellement eu de ces « prophètes » qui ont roulé leurs contemporains dans la farine jusqu’à ce que fortune soit faite ou que la corde au cou ils regrettent amèrement d’avoir pris tous ces gens pour des gogos, des imbéciles ou des fadas.

Mais, celui dont je vous conte ici l’histoire, n’est pas de ces illuminés qui courent la terre pour y répandre « leur » bonne nouvelle. Non. Celui-ci était un vrai sage. Un taiseux. Ce qu’il croyait avoir compris, dans sa grande sagesse, et aussi un peu par peur du bûcher… il le garderait pour lui. Il mit donc tout cela par écrit, et pour être sûr qu’un coquin qui éventuellement s’en emparerait un jour, ne puisse comprendre de quoi il était question, il coda son manuscrit pour le rendre illisible faute d’en détenir les clefs. Mais, avec les clefs, il y a un gros, un très gros, problème… C’est qu’on les perd. Et notre érudit ne dérogea pas à la chose. Il perdit les clefs de son œuvre.

Oh, il avait bien encore en tête les rudiments de l’affaire, mais à chaque fois qu’il tentait de rassembler les pièces éparses de son puzzle il s’empêtrait dans des configurations cabalistiques et ésotériques qui ne le menaient nulle part, sinon à un mal au crâne terrible dont il ne se remettait qu’après de longues heures de silence en forêt et des litres d’une tisane qu’il confectionnait lui-même, avec les plantes des sous-bois. 

Notre savant vieillissait, et n’avait nul enfant, nul apprenti, personne à qui passer ce flambeau dont ne subsistait qu’une flammèche vacillante, quasi mourante.

Et le vieillard désespérait car sa mémoire elle aussi devenait de moins en moins fiable. Lui qui se vantait – à lui-même – d’avoir une mémoire d’escargot, il était en peine aujourd’hui de se souvenir dans quelle boite et sur quelle étagère il avait rangé les morceaux de cire d’abeille avec lesquels il sucrait ses tisanes…

Il riait tout seul – dans sa barbe, comme l’on dit – en pensant à sa cabriole originale. En effet, alors que n’importe qui aurait dit avoir une mémoire d’éléphant, lui assurait que c’était l’escargot qui avait la plus grande mémoire de tous les temps.

Évidemment il se faisait rire tout seul, car jamais personne ne s’aventurait assez loin hors des murs rassurants de la cité pour arriver jusqu’à sa maisonnette de chaume bien abritée sous la ramure multi centenaire d’un chêne rouvre peut être même millénaire… 

Mais il s’en moquait. De toute façon, autrefois, oh, il y avait bien longtemps de cela, il avait essayé de vivre avec les autres. À la ville, comme ils disaient… Mais là-bas il était moqué par tous. Il n’était rien qu’un gueux de plus parmi les autres. 

Alors que sous son chêne, certes, les seuls compagnons qu’il avait étaient quelques biches au petit jour et puis un peu plus tard quelques lapereaux intrépides qui détalaient, lui montrant leur petit derrière blanc, au moindre de ses mouvements… Il y avait aussi les oiseaux. Évidemment.

A eux, qui ne jamais se lassaient de l’entendre, il racontait inlassablement sa « théorie » sur la mémoire...

« On dit toujours » leur disait-il « Que ce sont les éléphants qui ont le plus de mémoire. C’est faux ! Ce sont les escargots. Pourquoi ? Me demanderez-vous… C’est tout simple. Les escargots se souviennent du déluge, pas les éléphants. Comment est-ce que je le sais ?... Facile !

Quand il pleut, les escargots montent dans les grandes herbes, n’est-ce pas... » Et là il laissait toujours passer un peu de temps, avant de se taper sur les cuisses en riant à en pleurer. « Pas les éléphants ! Ça prouve bien que les escargots ont plus de mémoire qu’eux, puisqu’ils se souviennent du déluge, eux ! »

Il s’essuyait alors d’un revers de manche les yeux rempli de larmes de joie. Et c’est ainsi qu’un jour, assis sur son banc de bois devant la maison.

Alors qu’il venait pour la énième fois de raconter son histoire d’escargot à un couple de pies, qu’il s’éteignit. Sans bruit. Comme ça, tout doucement il s’intégra à la nature qu’il avait tant aimée. Il « devint » la nature.

Enfant je courais dans les bois. Au désespoir de ma grand-mère, qui craignait toujours que je ne me casse un bras ou une jambe… Afin de tenter de me préserver de ces catastrophes elle me contait des histoires d’ogres et de loups qui au lieu de me faire redouter la forêt, m’incitaient au contraire à m’y aventurer. « Moi, peur ?... ça ne va pas non ?... Peur de quoi d’abord… »

Enfin bon. Lorsque le soleil descendait à l’horizon, sagement je revenais vers la maison, au cas où… Mais, ne le dites à personne hein !...

C’est au cours d’une de mes escapades que j’ai aperçu la maisonnette sous le chêne. Je connaissais bien les arbres et je savais les essences, j’en connaissais les feuilles et les fruits. Je savais même lire leur âge lorsqu’ils étaient coupés. Je reconnus donc le chêne sans hésitation.

Cette petite maisonnette appuyée à son tronc avait l’air bien inoffensif. Toutefois j’avançais prudemment…

« Il y a quelqu’un ?... » Claironnais-je risquant un pas puis un autre…

« Il y a quelqu’un ?... ». 

Personne. La maisonnette était déserte, et apparemment depuis bien des années. Des toiles d’araignées pendaient dans l’encadrement de la porte entrouverte et aux carreaux de l’unique fenêtre aux volets disloqués.

À côté de la porte il y avait un banc, et sur le banc ce que je pris de prime abord, pour un tas de chiffons au-dessus d’une paire de sabots emplis de paille.

J’avançais prudemment, et j’entrais carrément dans la chaumière. Contrairement à ce que j’avais pensé de l’extérieur, elle était relativement propre. Bien sûr la table et les quelques meubles étaient couverts de poussière, mais sans plus.

Au fond de la maisonnette un rideau séparait la pièce en deux et abritait un lit.

Au-dessus du lit il y avait une étagère sur laquelle étaient entassés des boîtes et quelques livres. Je décidais d’aller voir ça de plus près.

Je montais donc sur le lit, et saisis le bord de l’étagère pour m’aider à maintenir mon équilibre mis à mal par l’édredon de plumes.  

Patatras ! Tout s’écroula et moi avec. Je me suis retrouvé au centre d’un nuage de poussière, assis sur le lit avec pêle-mêle sur mes genoux un tas de vielles choses…

J’entrepris de m’en débarrasser, lorsqu’une des boîtes s’ouvrant il en sortit un petit carnet vert sur la couverture duquel était écrit en lettres rondes

« Livre des origines ».

Intrigué par ma découverte et pressé de connaître les « mystères » qu’elle contenait, je me suis brossé vigoureusement et je suis sorti au grand jour avec l’intention de m’asseoir sur ce banc pour m’y délecter de ma trouvaille.  

C’est alors que j’ai compris que ce que j’avais pris à mon arrivée pour un tas de vieux chiffons était en réalité…

« Un squelette !... »

Mon cœur se mit à battre à toute allure et n’écoutant que ma trouille viscérale, je m’enfuis à toutes jambes, emportant tout de même le précieux grimoire qui contenait à n’en plus douter des révélations de la plus haute importance ! 

Je ne croyais pas si bien dire.

Oh, il m’en a fallu du temps, pour déchiffrer les écrits du vieil homme, et si l’informatique n’avait pas existé je n’y serais sans doute jamais parvenu.

Lorsque je vais, enfin, vous révéler les secrets du petit livret vert, vous comprendrez. Patience, on y arrive. 

Sur les pages de son carnet d’une écriture quasi parfaite, le vieil homme avait noté ses réflexions et les avait intitulées

 

« Les Origines ». 

 

Voici ce que disait ce texte

Étranger, toi qui viens de déchiffrer cet ouvrage de ma vie, sache que tu détiens entre tes mains tous les mystères du monde. Ceci est « Le livre des origines ».

Il faut que tu saches qu’au tout début des temps il y avait trois éléments. Le feu n’arriva que plus tard… Bien plus tard.

Il y avait la terre, la mer et le ciel. Et tous étaient hermaphrodites. La terre concevait le végétal et l’animal terrestre, du mammifère – dont tu fais partie – aux reptiles et autres araignées et bestioles. La mer concevait les poissons, les crustacés et des mollusques, enfin tout ce qui vit dans l’eau… 

Et le ciel engendrait les oiseaux, les papillons, les libellules, les moustiques qui en ce moment me harcèlent, saleté de bestioles… Enfin, tout ce qui vole ou tient en l’air. 

Et voilà pourquoi j’ai écrit plus haut, que les éléments étaient hermaphrodites.

Car de temps à autre ils concevaient et donnaient naissance à des êtres hybrides… des sortes de mutants, des exceptions… 

C’est ainsi que le ciel s’étant épris un soir lors d’un soleil couchant d’une rare beauté des reflets de cet océan aux couleurs changeantes et chatoyantes, notamment ce soir-là… il prit dans ces nuages un peu de cette brume que l’on appelle « embruns » et la serra si fort que peu de temps après il en naquit les Exocets qui aux soirs de pleine lune volent vers les étoiles pour faire un petit coucou à leur père, le ciel.

On les voit quelquefois par bancs entier franchir de grands espaces. Ils communient ainsi avec l’immensité étoilée qui leur donna le jour et c’est aussi pour cela qu’ils ont l’air de flèches argentées lancées par d’invisibles arcs, peut-être en ciel… Qui sait ?...

Le ciel était tout fier de sa progéniture entre poisson et oiseau. Il en était si fier qu’il reproduisit quelques fois ce miracle et donna aux Exocets quelques cousins moins aboutis…

Un soir d’automne, alors que le ciel s’attardait, humant venu du sol les bonnes odeurs de feuilles mortes et de champignons des sous-bois il pensa.

« Pourquoi ne retenterais-je pas l’expérience que j’ai faite avec la mer, mais cette fois avec la terre ?... »

Il descendit très bas, très bas… Tout doucement, jusqu’à effleurer de ses légères brises le sol de septembre qui s’apprêtait à s’endormir pour toute la durée de l’hiver…

La bise était fraîche, le soir était doux, quelques rares nuages filaient à l’horizon, rougissant d’aise dans le soleil couchant… La terre se laissa faire…

Dans un soupir de bien être elle s’endormit pour l’hiver, après ce moment fabuleux que venait de lui faire vivre le ciel.

Doucement…

Tout doucement…

Et au printemps, alors que les premières touches de vert tendre commençaient à pointer au bout des branches encore noircies par les frimas, il se fit entendre au village un son mélodieux et tendre.

Ce n’était pas de la musique, d’ailleurs la fête du printemps n’était pas pour tout de suite, et les musiciens avaient encore le temps d’accorder leurs instruments…

Non. Ce n’était pas une musique… C’était une voix.

Une voix qui déclamait des choses merveilleuses que nul encore n’avait ouïes de par le monde…

Le premier poète était né et il en viendrait d’autres encore...

Et pour toujours ils garderaient, les pieds encrés dans cette terre, leur mère et la tête dans les étoiles que chaque nuit leur révélait leur père, le ciel.

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Si cette histoire vous convient, racontez-la.

Ne craignez pas de passer aux yeux de quelques-uns pour un rêveur ou même pire… Un de ces poètes dont parle cette histoire. Tant qu’il y aura un brin de poésie et des oiseaux dans l’air, des chevaux sur la terre et des poissons dans les rivières il y aura des troubadours pour reprendre en cœur la chanson des poètes.

Pour le plus grand bien des hommes.

Et de la planète.

 

                     

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